Homélie prononcée à la cathédrale d'Evreux
le 22 janvier
1995 par Mons.Jacques Gaillot
J'ai bonheur de voir votre
assemblée composée des femmes et des hommes les plus divers. Par vos couleurs,
par vos dons variés, vous enchantez ma vie.
Merci à toutes les personnes âgées et aux malades qui m'ont transmis
l'assurance de leurs prières, merci aux enfants qui m'ont offert un dessin.
Merci aux prêtres et aux diacres d'Evreux qui m'ont assisté et supporté.
Merci aux évêques de leur présence.
Merci à ceux qui m'ont adressé souvent - et jusqu'à ces derniers jours - de
multiples mots d'amitié. Mon bureau déborde du fleuve de vos lettres.
Quelles grâces pour moi d'être accompagné de toutes ces bontés de votre coeur.
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Quand je suis venu parmi vous il y a 12 ans, la cathédrale arrivait à contenir les chrétiens rassemblés. Au moment de vous quitter, la cathédrale ne peut plus accueillir tous ceux qui viennent de loin. La foule immense est dehors. Croyants ou non. Merci aussi à ceux qui ne croient pas, d'être là. La vigilance critique des non-croyants est vitale: elle tient en éveil
la conscience évangélique des chrétiens. Réjouissons-nous de la diversité de
notre assemblée. |
Nous voici rassemblés pour
ouvrir le livre de la Vie.
La Parole de Dieu est lumière pour la route. Parole qui guérit et libère les
coeurs de ceux qui sont blessés. N'ayons pas de haine, pas de violence en nous.
Notre coeur n'est pas fait pour haïr.
Que la terre tremble au Japon, que les hommes s'entre-déchirent en Tchétchénie,
que des jeunes sans travail errent dans les nuits fauves des banlieues, suffit
à la détresse de Dieu.
Ne pleurez pas. Ne prenez pas le deuil. Ce jour est un jour de fête et de joie.
La vague de confiance et de solidarité surgie parmi les gens les plus divers
est devenue une rumeur d'espérance. L'événement qui s'est passé est révélateur
des aspirations profondes qui sont en attente dans la société comme dans
l'Eglise. Aspiration à la liberté de parole, au droit à la différence, au
respect de la dignité de chacun, à la démocratie. Ce sont des valeurs que
beaucoup réclament et attendent, car bien souvent les responsables agissent et
décident sans tenir compte des gens. L'Apôtre Paul invite chacun à prendre sa
part de responsabilité.
Le Corps du Christ c'est le peuple de Dieu, ici, à Evreux et partout. Ce sont
tous les croyants, toutes les communautés venues de loin pour être à cette
heure le Peuple de Dieu rassemblé pour l'Eucharistie, pour l'Action de grâce.
Le Corps du Christ, le peuple de Dieu forme un tout que rien ne doit rompre, ni
personne, ni ici, ni ailleurs. "Soyez un, nous redit Jésus, pour que le
monde croie que tu m'as envoyé." (Jean ch. 17 - V.21)
Le Corps du Christ n'existe pas encore dans sa plénitude tant qu'il subsiste
des murs entre les hommes, et plus encore entre les chrétiens, tant que tous
"désaltérés par l'Unique Esprit" ne bénéficieront pas d'une vraie
reconnaissance dans l'amour fraternel. Le Corps du Christ, le peuple de Dieu
que vous représentez en ce moment est un lieu de compassion et de partage de
toute chose. Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance, si
un membre est à l'honneur, tous se partagent sa joie.
Tous ici présents, donnez un avenir au Peuple de Dieu. C'est vous le Corps du
Christ. Chacun pour notre part, nous sommes les membres de ce Corps. Chacun à
votre place, quelle qu'elle soit, nous en sommes responsables. Et cette
responsabilité du Peuple de Dieu c'est sa Mission. L'Evangile de Luc nous rappelle
que c'est la Mission du Christ lui-même et qu'elle lui vient de Dieu.
Cette mission n'appartient à personne. Et nul ne peut l'accaparer et s'en dire
propriétaire. Chaque baptisé en est porteur, dans la communion de l'Esprit
Saint.
Cette mission n'a pas changé depuis le jour où, s'appuyant sur la prophétie
d'Isaïe, Jésus l'a définie une fois pour toutes:
L'Esprit du Seigneur est
sur moi
Parce que le Seigneur m'a consacré par l'Onction
Il m'a envoyé porter la Bonne Nouvelle aux pauvres
Il m'a envoyé annoncer aux prisonniers qu'ils sont libres
Il m'a envoyé annoncer aux aveugles qu'ils verront la lumière
Il m'a envoyé apporter aux opprimés la libération et annoncer une année
de bienfaits accordés par le Seigneur .
Cette parole de l'Ecriture, que
vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit. Elle s'accomplit
si nous la proclamons au pluriel et au présent. Le Seigneur nous envoie - vous
et moi - sur les chemins différents qui sont et vont être les nôtres. Le
Seigneur nous envoie aujourd'hui partout à la rencontre des femmes et des
hommes pour la même annonce du bonheur.
Ce que j'ai vécu avec vous ici dans ce diocèse d'Evreux, ce que j'ai vécu
ailleurs dans toutes sortes de circonstances et d'occasions, me montre
clairement que ces paroles du Christ sont le seul chemin de la Mission, que
tout chrétien, toute communauté, toute Eglise qui ne prend pas, d'abord, avant
tout, les chemins de la détresse des hommes n'a aucune chance d'être entendu
comme porteur d'une Bonne Nouvelle.
Que tout homme, toute communauté, toute Eglise qui ne se fait pas d'abord,
avant tout, fraternelle avec tout homme, ne pourra pas trouver le chemin de son
coeur, l'endroit secret où peut être accueillie cette Bonne Nouvelle.
Pour ma part, en communion avec l'Eglise, je continuerai mon chemin pour porter
la Bonne Nouvelle aux pauvres. L'Evangile est un message de liberté et d'amour.
Annoncer Dieu aujourd'hui, c'est défendre la liberté de l'homme quel qu'il
soit. La liberté de devenir vraiment homme, c'est aussi vivre de solidarité,
être en particulier la voix des sans-voix. Le Corps du Christ n'est pas achevé,
il se construit. Donnons-lui un avenir, chacun à notre manière, dans le respect
des personnes, dans la liberté de conscience et d'expression, dans l'ouverture
au monde qui cherche lui-même les chemins de son avenir.
Chacun d'entre nous est une petite cellule: nécessaire à sa vie. Qu'elle se
sente meurtrie, abîmée, exclue et c'est le corps tout entier qui souffre.
Accompagnons le fraternellement, sans peur, sur ces chemins souvent nouveaux et
inquiétants pour nous, mais tellement passionnants et porteurs d'Espérance. La
Mission continue. Elle non plus n'est pas à son terme. Donnons-lui un avenir,
chacun selon sa vocation, selon les événements, chacun selon ses dons.
Mission de plus en plus fraternelle. Mission fidèle à l'attention pour celui
que Jésus accueille en priorité: le plus petit d'entre les siens.
Jésus est le pauvre, l'exclu dans lequel nous nous retrouvons. C'est en lui
paradoxalement que s'ouvre l'avenir, que s'enracine l'Espérance. L'Eglise doit
être l'Eglise des exclus et pas de l'exclusion. Le Christ a connu, dans sa
chair, ce chemin:
Celui de l'abandon, de la condamnation injuste, de l'exclusion.
Celui de la résurrection où les portes de l'Espérance se sont ouvertes tout
grand sur le monde pour des heures de joie, de tendresse, pour la paix
possible, pour l'Espérance jamais vaincue.
Cette vague de confiance et de solidarité qui s'est formée aujourd'hui ne doit
pas retomber.
On ne peut rester les bras croisés.
Quand un peuple prend la parole, des chemins nouveaux s'ouvrent. Des
initiatives se prennent.
Quand un peuple prend la parole, il n'y a plus de peur ni de crainte, mais des
énergies neuves qui se déploient partout.